Continuons notre voyage chez ceux qui se situent à l’opposé des avares et des radins : les dépensiers compulsifs et personnes prodigues. En ce qui concerne l’argent proprement dit, le résultat est le même : l’argent n’est pas conservé, il est dépensé pour des achats inutiles, inconsidérés ou généreusement donné aux autres. Ils sont poussés par des comportements pulsionnels qu’ils n’arrivent pas à maîtriser et engendrent des relations difficiles avec l’entourage.
Josiane dépense chaque dimanche environ 1000 € de vêtements et chaussures dans des boutiques du Marais ; en 3 heures de temps, accompagnée par son amie Martine. Elle est mariée mère de 2 enfants et les revenus du ménage sont de 6000 €. Le mécanisme est toujours le même : la tension monte pendant la semaine (travail stressant, s’occuper des enfants, mari en déplacement), mais elle est contenue grâce à la perspective de « son dimanche à elle ». Ce dimanche est devenu un rituel et, à chaque dépense, elle éprouve un soulagement, une détente, on pourrait presque dire un « orgasme » qui s’ensuit instantanément de remords (son mari va piquer une crise) et de reproches sur son comportement (tu n’aurais pas du, tu n’en pas besoin, tu ne te contrôles pas, tu es nulle). Ces reproches sont efficaces la semaine qui suit puisque Josine se montre radine. Cette phase d’abstinence et de contrôle, cumulée à son style de vie se transforme ensuite en tension et le cycle redémarre. Josiane n’est heureuse ni dans sa vie, ni dans son couple : son mari est très fatigué de la semaine et passe son dimanche devant la télé pendant que les enfants hurlent. Dépenser est une compensation qui a néanmoins pour effet d’entretenir l’insatisfaction de tous (elle se fait bien sur « disputer » quand elle rentre) tout en ne traitant pas les questions de fond.
La fonction de la dépense compulsive (= qu’on ne peut maitriser) est triple :
Un soulagement psychique par rapport à une vie insatisfaisante. Nous sommes tous plus ou moins sujet à ce mécanisme, très bien entretenu par la société d’hyper consommation. Nous avons tous éprouvé « le plaisir de se faire plaisir » en nous offrant un cadeau après un moment difficile qu’on a pu surmonter. Dans un mécanisme non névrotique, la consommation de l’objet apporte cet effet : se sentir bien dans de nouveaux vêtements qu’on porte fièrement est différent de l’oublier dans un placard.
Une réparation d’une personnalité meurtrie à travers la sensation de toute puissance que provoque la dépense. On pourrait paraphraser Descartes : « je dépense donc je suis ». L’argent est un des attributs du pouvoir : en dépensant on répare en quelques sortes des blessures.
Un apaisement du sentiment de ne pas être à la hauteur par un « dopage » (très momentané) de l’estime de soi. Il y a confusion entre la valeur et la quantité de ce qui est acheté et le sentiment de sa valeur personnelle. On n’est jamais satisfait de soi : par l’acquisition d’objets on tente d’obtenir cette satisfaction. De manière illusoire.
On retrouve ces points chez les personnes prodigues. Celles-ci vont donner de l’argent à des personnes qu’elles côtoient de près ou de loin, de manière désappropriée : cadeaux somptueux ; prise en charge de dépenses qui ne les concernent pas. La version saine de ce comportement est la générosité qui est bien sur appréciable – tant qu'il vous reste assez pour nourrir vos enfants il n'y a rien de mal à faire des dons à une association humanitaire! En l’état, il s’agit bien d’un comportement qui ne peut être maîtrisé et dont la « fausse promesse de bonheur » est d’être aimé et apprécié. Pourtant, à l’intérieur, nait au fil du temps le doute sur le fait d’être aimé pour l’argent donné et non pour soi même. Le prodigue existe en donnant, mais il ne sait et ne peut recevoir. Les relations sont déséquilibrées. Il place les autres en dette. Dans le film « le coût de la vie », dont je vous ai parlé la semaine dernière, le personnage joué par Vincent Lindon en est un exemple pathétique.
Que faire lorsqu’on est sujet à ces comportements ? Il y a deux axes : psychologique à travers la restauration d’une estime de soi suffisante pour la détacher de tout rapport avec l’argent ; économique ensuite avec la mise en place d’une abstinence volontaire et de comportements actifs d’épargne.
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