Interview de Jacob Lund Fisker, Early Retirement Extreme

En direct du centre de commandement Early Retirement Extreme 🙂

Vous êtes désespéré à l’idée de travailler jusqu’à 60 65 70 75 euh ans ? Voici une interview qui montre comment arrêter bien plus tôt.

Pendant mon tour aux Etats-Unis, j’ai eu l’occasion de rencontrer l’auteur du livre Early Retirement Extreme. Jacob a 36 ans et il n’a plus à travailler pour vivre car il vit avec les intérêts d’un capital qu’il a constitué en épargnant 75 % de ses revenus pendant 5 ans. Il est donc techniquement à la retraite mais il reste évidemment actif. Il vit dans un mobil home à côté d’Oakland à l’est de San Francisco. J’adore le slogan de son blog “The choice nobody ever told you about”.

Il a accepté de répondre à mes questions et j’ai trouvé que ce serait intéressant pour vous d’avoir le point de vue d’un praticien de l’indépendance financière. Ce que j’aime dans son histoire, c’est qu’il a mis en oeuvre son idée très simplement. La croyance populaire veut que pour arrêter de travailler il faut avoir un million d’euros placés et Jacob a fait un compromis courageux : ne pas attendre plus longtemps et agir de manière drastique pour prendre sa retraite.

Vous y découvrirez les déclics et le point de vue de quelqu’un qui m’a semblé serein et heureux 🙂

Si vous ne le connaissez pas, je vous recommande de lire la chronique de son livre ici.

Nous avons discuté pendant presque 2 heures, voici ce que l’on s’est dit !

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Michael : Bonjour Jacob, merci de nous accorder du temps ! Pourrais-tu simplement commencer par te présenter et résumer l’approche de ton livre ? Je sais que c’est un petit défi de te demander ça 🙂

Jacob Lund Fisker : Hum, qui suis-je ? Je suis l’auteur de Earlyretirementextreme.com et j’ai été physicien pendant… oh ça n’a pas d’importance ! Je suis né au Danemark où j’ai étudié jusqu’à l’âge de 24 ans puis je suis parti travailler à Bâle pendant quelques années avant de m’installer aux États-Unis. Rapidement la recherche m’a lassé, car il faut passer son temps à publier des articles et enseigner ma discipline à des lycéens ne m’intéressait pas. Lorsque j’étais étudiant, je suis tombé sur des sites traitant du pic pétrolier et du fonctionnement du système bancaire et ça m’a fait un peu paniquer, mais cela m’a aussi ouvert les yeux et je me suis dit qu’il valait mieux ne pas contribuer à ce système en achetant une maison à crédit et en payant deux fois son prix en intérêts. Je devrais donc la payer cash, il fallait que j’épargne. Le pic pétrolier, c’est presque une préparation à la survie : il faut savoir faire son propre savon et lire à la lumière d’une bougie 🙂
En 2003 j’avais un site web qui en parlait et il était en évidence sur ma page de présentation à l’institut où je travaillais. À cette époque le pic pétrolier était encore assez peu connu et ce qui était marrant, c’est que ce site attirait plus de visiteurs que toutes les autres pages du département combinées. Je me suis alors demandé si ce je faisais dans ma vie de physicien intéressait vraiment les gens.

Contrairement à ce que j’avais fait auparavant (au Danemark, le crédit à la consommation n’était pas très développé à l’époque contrairement aux États-Unis) jusqu’à l’âge de 24 ans, je dépensais mon argent pour m’acheter des produits électroniques. Mon entourage commençait à me parler de la retraite et à conseiller d’y penser, mais à cet âge ça me paraissait totalement incongru et j’avais ce côté du chercheur scientifique un peu au-dessus de l’argent ; je considérais que je n’avais pas à m’occuper de ça. Au final,  j’ai commencé à épargner doucement, mais je n’avais encore rien entrepris de sérieux. Je n’ai pas grandi avec l’idée que j’allais investir en bourse pour me créer une retraite. Je ne faisais que mettre de l’argent sur mon compte épargne. Puis un jour il y a eu un déclencheur, je pense que c’était en lisant Père riche, père pauvre. Ici, l’auteur est plutôt mal vu, car il investit dans l’immobilier, mais dans son livre il explique qu’on peut faire travailler son argent pour en gagner encore plus. C’était un concept nouveau pour moi, car je ne connaissais que le schéma où tu vas au travail et tu reçois un salaire que tu peux dépenser. À ce moment-là j’avais environ 90 000 $ qui dormaient à la banque et je me suis dit que si je passais un peu de temps à augmenter le taux de placement de cet argent de 2 % à ne serait-ce que 3 %, ce serait une grande étape par rapport à ce que je pourrais obtenir de ce capital.
Et donc, au lieu de chercher à capitaliser pour ma maison, j’ai commencé à capitaliser pour être financièrement indépendant.
En 2007 j’ai découvert le blogging et je me suis dit que je pouvais écrire sur la finance personnelle et cela a commencé à marcher. Je pouvais ainsi changer la vie des gens !

A 30 ans, j’ai lu Your Money or Your Life, qui explique qu’à un moment, un capital placé peut permettre de vivre indéfiniment si on ne s’en sert pas trop. C’est étrange de ne plus avoir à travailler, c’est là que l’on se rend compte de la pression sociale qui nous pousse à avoir une carrière pour gagner de l’argent et tout le reste. Aujourd’hui je n’en parle pas, je souris poliment quand on me pose une question. Ce est ironique c’est que je suis parti à la retraite avant mon patron et même un an avant mon père. Etre à la retraite, ça veut dire ne plus travailler pour gagner de l’argent.

 

Michael : Pour arriver à épargner autant, il faut forcément réduire sa consommation. Le mot « réduire » fait peur, il rebute beaucoup de gens qui ne veulent tout simplement pas consommer moins, cela semble parfois impossible pour eux.

JLF : Je pense que les gens ont été habitués à acheter. Par exemple en arrivant aux États-Unis, je voulais faire un barbecue et la première réaction de ma femme (qui est Américaine)  a été de vouloir acheter un barbecue au gaz chez Wallmart, alors que je pensais tout simplement disposer quelques pierres au sol et allumer un feu. Des gens m’ont dit qu’en Europe aussi c’était comme ça, c’est représentatif du changement de mentalité. Tout est devenu un produit que l’on peut acheter.

Cela a un impact sur les compétences des gens. Sur tous les produits, vous trouvez un message disant « consultez l’avis d’un médecin avant de… » : je ne demande pas à mon médecin si je peux courir 2 kilomètres !
On met dit parfois dans les commentaires de mon blog que j’ai plus de facilité à apprendre parce que je suis intelligent et que j’ai fait des études et que ce n’est pas le cas de tout le monde. Je ne fais rien de plus que ce que faisaient nos grands-parents. Pour moi, il s’agit surtout d’un état d’esprit qu’on a perdu, cela n’a rien de compliqué.

 

Michael : Il me semble que les gens ont presque peur de ne pas utiliser les dernières technologies, car c’est devenu un signe de confort matériel et d’appartenance à la société.

JLF : Si je regarde mon propre parcours, j’avais toujours envie de ce qu’il y avait de mieux lorsqu’il s’agissait de mon ordinateur. J’ai probablement eu 13 ordinateurs entre l’âge de 12 et 20 ans, alors que celui que j’ai en ce moment a 7 ans et me convient. Tout a changé quand j’ai renoncé à cet objectif douteux d’avoir le meilleur ordinateur possible.
En ce moment sort l’iPhone 5, mais cela ne m’intéresse plus vraiment désormais. Il s’agit beaucoup de publicité et d’effets de mode.

 

Michael : Et du coup, comment définis-tu ton identité sociale si ce n’est au travers des marques que tu consommes ? Comment ça se passe avec tes amis ?

JLF : C’est toujours un peu délicat, j’opte pour la politique du « ne rien demander, ne rien dire ». C’est un peu bizarre, car je dépense beaucoup moins que la plupart des gens alors j’ai sûrement bien plus d’économies. Tout le monde imagine que je suis pauvre alors que ce n’est pas du tout le cas. Si vous leur dites que vous êtes retraité, ils vont imaginer que vous êtes millionnaire. Les gens pensent que la seule manière de prendre sa retraite à 30 ans c’est de devenir riche grâce à Internet et de revendre sa startup.

J’ai testé différentes réponses, la question la plus dure reste « que fais-tu dans la vie ? », car je ne peux pas tout expliquer d’un coup. Je me contente souvent d’un « je suis écrivain » et les gens me demandent souvent après « mais tu arrives à en vivre ? », à quoi je réponds « c’est pas évident, mais j’ai mis pas mal de côté ». À partir de là s’ils se montrent curieux, je peux commencer à exposer mon approche et c’est beaucoup plus simple que de dire que je n’ai pas besoin de travailler parce que je suis financièrement indépendant.
J’ai mis un an à trouver cette version 🙂 Ce qui est délicat c’est que c’est une philosophie qui reste rare et qu’il faut donc expliquer à chaque fois. Si plus de monde le faisait, je n’aurais qu’à dire « je suis l’un d’entre eux ! », ça me faciliterait la vie !

 

Michael : Avec toute l’information disponible à ce sujet, comment expliques-tu que beaucoup de gens ne savent toujours pas mieux prendre en main leurs finances ?

JLF : C’est dur à expliquer, mais de là à imaginer une sorte de conspiration des élites qui maintiendrait la population dans la confusion il n’y a qu’un pas 🙂 Après tout pourquoi n’est-ce pas enseigné à l’école ? Tout ce qu’il faut, c’est atteindre une masse critique pour que le système fonctionne. Etre financièrement indépendant, ce n’est pas compliqué, c’est inhabituel. Or, la plupart des gens veulent faire comme la majorité.
Sur mon forum il y a des gens, une trentaine en ce moment, qui tiennent un journal où ils décrivent leurs progrès. Avant, j’avais souvent des réponses du genre « ça marche peut-être pour toi, mais ça ne peut pas fonctionner pour moi, car je vis ici » ou « ma femme ne sera jamais d’accord ! » ou « tu ne peux pas faire ça si tu as des enfants ! ». C’est comme s’ils se focalisaient sur un seul aspect de ma démarche pour en conclure qu’en ne fonctionnait pas dans son ensemble. Désormais, j’ai l’exemple d’une personne qui vit à New York et qui y arrive, comme ce couple qui voyage ou cet autre couple avec des enfants.

Cela fait partie de la psychologie humaine. Il y a ceux qui réfléchissent en terme de généralités ou d’idées et ceux qui pensent en terme de détails et il peut être difficile pour ces deux groupes de se comprendre. Je peux proposer aux gens un programme en 10 étapes, mais il y aura toujours quelqu’un pour me dire que les étapes 1, 5, 7 et 9 ne lui plaisent pas. Seulement, c’est un programme global, et n’en faire qu’une partie risque de comprendre le résultat, surtout lorsque les choses sur lesquelles on veut le moins faire de compromis sont les plus gros obstacles, comme la maison qui doit être dans un quartier où il y a de bonnes écoles, avoir 5 chambres et pouvoir garer 3 voitures 🙂
Dans ce cas, je ne peux pas les aider !

 

Michael : Tu peux résumer ton approche ?

JLF : On se base sur le principe d’ épargner 10 à 15 % de ses revenus à un certain pour pouvoir prendre votre retraite au bout d’un certain temps. En reprenant ces calculs, on regarde ce qu’il se passe si l’on épargne non plus 15 mais 30 % puis 50 % et en augmentant le taux d’épargne. Pour prendre sa retraite en moins de 5 ans, on arrive à un taux d’épargne nécessaire de 85 %. Voilà le principe de base.
Si vous avez de la chance, vos revenus actuels vous permettent de couvrir toutes vos dépenses, ce qui est loin d’être toujours le cas aux États-Unis.
Ensuite, au lieu de faire des économies sur le papier toilette et le chauffage, il faut se concentrer, en utilisant le principe de Pareto, sur les 3 gros pôles de dépenses que sont le logement, le transport et l’alimentation. Vous avez alors déjà fait l’essentiel du chemin.

Ici, si vous n’avez pas de voiture, c’est que vous n’êtes pas un adulte, et les gens ont une voiture parce qu’ils habitent loin de leurs travails. Si vous habitez de manière stratégique à l’endroit où vous voulez être et où sont vos activités, vous commencez à réduire vos dépenses de manière significative. Ici, les gens ont de grandes maisons, parce qu’ils ont souvent beaucoup de choses à stocker. Ils achètent en permanence et jettent rarement, ce qui ne fait qu’empirer avec le temps. Si l’on fait un tour dans les villes alentour, tu verras que les garages ne servent pas à garer les voitures, mais à stocker des choses. Il faut réduire cette consommation, non pas par minimalisme, mais pour éviter de se mettre dans des situations critiques. À cause de mes déplacements Europe / US, la plupart de mes affaires tiennent dans 2 valises. A titre d’exemple, j’ai une scie que j’ai payée 120 $. Ce prix en surprend plus d’un, mais ce n’est rien comparé au loyer de 1500 $ que certains paient chaque mois. S’ils s’arrangeaient pour avoir un loyer de 1200 $, ils pourraient se payer 3 excellentes scies tous les mois !
Il faut choisir consciemment ses postes de dépenses. Moi, je n’aime pas voyager, cela ne m’intéresse pas. Pourtant, on me dit parfois que cela n’a aucun intérêt d’être à la retraite si ce n’est pas pour voyager. L’un n’empêche pas l’autre. Il faut organiser sa retraite en fonction de ses envies. Je connais un couple qui a mis en location sa maison et qui fait le tour du monde en vélo depuis presque 10 ans. Pour eux, ce n’est pas un défi pour leurs finances personnelles, mais un moyen évident de financer leurs souhaits.

 

Michael : Tu parles du fait de se voir comme un locataire de toutes nos possessions, peux-tu nous en dire plus ?

JLF : Oui, cela change la perspective que l’on a de nos dépenses, car en fait on finit par avoir un certain nombre d’actifs que l’on gère. Ainsi, certains de mes outils ont 10 ans, mais comme ce sont de très bons outils, ils n’ont perdu que 10 % de leur valeur neufs. Ils ne se déprécient pas, bien au contraire, et je suis plus gagnant que si je devais renouveler mes outils tous les 3 ans en achetant ce qu’il y a de moins cher.
Je vis avec un budget annuel de 7000 $ et les gens imaginent (comme vous en ce moment) que je vis très chichement, car ils pensent qu’il faut sans cesser acheter de nouvelles choses. En fait, si cette somme ne sert qu’à couvrir la perte de valeur des actifs que tu possèdes déjà, tu vis très bien avec.
On ne se concentre plus sur le revenu annuel, mais sur le bilan (recettes-dépenses). Or, les consommateurs ne s’intéressent qu’à leur revenu pour savoir ce qu’ils peuvent s’offrir.

 

Michael : Justement, pour créer cette base d’actifs, ces objets de qualité que tu acquiers et que tu revendras un jour, tu dois être capable de reconnaître la qualité, car elle n’est pas toujours définie par le prix. Comment deviens-tu une sorte de « superconsommateur » ?

JLF : Il faut changer de schéma de pensée et passer du consommateur au producteur. Si vous avez une entreprise, vous produisez et dans cette configuration, vous n’achetez pas les outils les moins chers mais les meilleurs.

 

Michael : Et que réponds-tu au classique « Oui, mais ton approche ne marche pas si tout le monde fait ça ! »

JLF : Si les consommateurs devenaient plus intelligents, les produits changeraient, ils s’adapteraient. Ils seraient plus chers, mais plus durables. Lorsqu’on cherche un produit, on regarde plus le design et la marque plutôt que le rapport entre son utilité et son prix. Comme les gens ont perdu la notion de construire les choses ils sont bien souvent incapables d’évaluer la qualité d’un produit. J’ai eu l’exemple de quelqu’un âgé de 25 ans qui twittait qu’il avait réussi à faire cuire un oeuf tellement il n’était pas habitué à cuisiner 🙂 C’est étrange !
Si je regarde ce que je sais maintenant et ce que je savais il y a 5 ans, j’ai progressé, mais ce n’est pas spectaculaire. Faire soi-même la vidange de sa voiture parait compliqué pour beaucoup de gens, mais une fois que tu sais qu’il faut juste dévisser un bouchon et remplacer l’huile, cela ne t’étonne plus. On en revient toujours à « hyperspécialisation des compétences » + « tout est devenu un produit » + « il faut consulter un expert avant de faire quoi que ce soit ».

 

Michael : Ca me rappelle un reportage diffusé en France (l’obsolescence programmée) qui montrait comment les fabricants d’ampoules s’étaient entendus pour limiter la durée de vie de leurs produits et comment une imprimante avait un compteur interne qui au bout d’un certain nombre d’utilisations rendait inopérable l’imprimante. Il a fallu recourir à un programme développé par un hacker russe pour remettre à zéro le compteur et l’utiliser à nouveau sans quoi le consommateur l’aurait remplacé.

JLF : Oui c’est stupide. C’est un peu comme avec les téléphones portables où lorsque tu prends un abonnement, le téléphone est simlocké pour ne fonctionner que sur un réseau en particulier. Cela renvoie à la création des marchés de masse où les constructeurs ont réalisé qu’il ne fallait pas construire de produits trop solides pour que les achats soient réguliers.

 

Michael : Je ne sais pas si tu as entendu parler de ce Canadien qui a fait le tour du monde a pied pendant 11 ans et ce qui est frappant, c’est que pendant toutes ces années, il n’a eu besoin que d’aller une fois à l’hôpital et il ne s’est volé qu’une fois, car on se rend compte que c’est probablement moins dangereux que dans notre quotidien non ?

JLF : Oui ici pour quoi que ce soit il faut voir un médecin. Mon chien a plus de médicaments que moi, car il va chez le vétérinaire et je ne vais chez mon médecin qu’en cas d’urgence. Lorsque j’ai eu un problème de cheville, j’ai examiné ce que j’avais et j’ai compris qu’il suffisait d’avoir du repos. Chez un médecin, je vais payer 200 $ pour qu’il me dise ça. Si j’ai quelque chose d’étrange, je vais évidemment voir un médecin sur le champ !
Il m’est arrivé d’aller chez mon médecin en lui disant « Je pense que j’ai ça » et à lui de me répondre « Oui c’est ça ! ». En faisant des recherches sur mes symptômes, j’arrive au bout d’un moment à en savoir plus que le médecin. On en revient à la valorisation de l’expertise et au port de la blouse pour avoir l’air intelligent comme un magicien porte un chapeau pour qu’on l’identifie comme tel. On pourrait remplacer une bonne partie des diagnostics par un ordinateur, car tout répond à une logique. Pour les impôts c’est pareil. En cherchant et en comparant mes calculs et ceux d’un conseiller, il arrive souvent que ce soit l’autre qui se trompe. Il doit traiter un maximum de clients et il compte sur le fait que les impôts ne vérifient pas toutes les déclarations et c’est donc plus simple pour eux d’être négligent. Pour les médecins c’est différent. Ils ont tellement peur d’être poursuivis en justice qu’ils vont vous donner un traitement s’il y a le moindre doute. On peut avoir un patient en bonne santé qui reçoit un traitement et tombe malade à cause des effets secondaires !
Durant ma thèse, c’est un peu pareil. J’étais très spécialisé, probablement parmi les 5 personnes qui en savaient le plus sur ce sujet, mais en même temps je réalisais que j’en savais de moins en moins sur le reste. L’objectif c’est d’avoir l’air de savoir des choses alors que tout peut s’apprendre si nécessaire. À l’université on le voit bien. Si tu suis le cours d’un professeur émérite, il va parler pendant des heures et il va avoir l’air de savoir de quoi il parle, mais il ne fait probablement que résumer les recherches de ses étudiants. Si tu regardes une intervention d’un de ces étudiants, il ne va pas avoir l’air de savoir de quoi il parle et si tu lui poses une question il va probablement être déstabilisé alors qu’il en sait plus que son professeur. Les gens croient plutôt le professeur.

 

Michael : Et c’était difficile pour toi d’accepter le fait que tes études et ton savoir n’allaient finalement pas te servir ? Beaucoup de gens ont du mal à ne serait-ce que changer de secteur professionnel.

JLF : Il y a une citation d’Einstein qui dit « L’éducation c’est ce qui reste lorsqu’une personne a oublié tout ce qu’elle a appris à l’école » et je pense que c’est assez juste. L’éducation c’est vraiment comment tu réfléchis. Ce que je sais peut être appris à nouveau si nécessaire. Je m’amuse parfois à voir combien d’éléments du tableau des éléments périodiques j’arrive à retrouver. Je pouvais autrefois attendre 60, maintenant je peine à en trouve 5 🙂 On m’a parfois fait la remarque ce n’était pas très malin de ma part d’avoir passé autant de temps à l’école pour obtenir un doctorat lorsque c’est pour prendre sa retraite 5 ans plus tard et je leur réponds que je suis d’accord avec eux ! Évidemment je ne pensais pas à la retraite à ce moment-là, mais faire un doctorat m’a poussé à chercher moi-même les réponses parce que si j’allais voir un professeur pour lui exposer un problème, je voyais qu’il réalisait qu’il en savait finalement moins que moi sur la question et que le seul bénéfice de notre discussion était de clarifier ma réflexion au travers de notre échange. Remettre en cause les choses et s’en faire un avis m’a beaucoup aidé.

 

Michael : Est-ce que tu sens toujours concerné par l’actualité du monde ?

JLF : Oui j’ai la mauvaise habitude d’être préoccupé par des choses contre lesquelles je ne peux rien faire comme la fin du pétrole. C’est un peu stupide. Même si tu n’es pas retraité, tu peux te prémunir de l’actualité comme la récession si par exemple tu investis de manière raisonnable et que tu prévois une épargne de précaution de 6 mois. Avec mon taux d’épargne, au bout de 2 ans tu aurais 6 ans d’épargne de précaution, l’année suivante 9 ans 🙂
Cela n’a pas tant changé qu’avant ma retraite. Je ne me plains plus de mon boulot et du fait que je doive réviser pour la 20e fois un papier.
Pour ceux qui ont fait la Deuxième Guerre mondiale, la retraite arrive lorsque tu as vécu ta vie à fond et qu’il ne te reste plus qu’à aller en maison de retraite. J’ai eu des gens de 70 ans qui m’ont dit « tu n’es pas retraité, tu travailles toujours ». Pour les baby-boomers, à 60 ans tu as fini ton devoir envers la société et tu as de l’argent pour faire tout ce que tu n’as pas fait (Las Vegas, Disneyland, voyage…), car tu n’avais pas le temps. Dans mon cas, j’ai du temps pour faire ce qui me plait. J’écrivais déjà mon blog lorsque je travaillais, mais il fallait être discret, car en théorie je n’avais pas le droit de le faire même pendant la pause déjeuner ! Pour moi c’est une transition naturelle.

 

Michael : Et ta femme, comment l’as-tu convaincue ?

JLF : C’est un mélange entre montrer l’exemple et faire des compromis. Ce n’est pas comme avec la fin du pétrole, tu ne peux pas rédiger un argumentaire et lui dire « lis ça et si tu trouves ça logique on le fait ». Personne ne va vous dire « Tu as raison, j’ai tort, je vais faire ce que tu dis » 🙂
Il faut commencer progressivement avec des idées simples. Vivre dans un mobil home est un compromis. Je voulais vivre sur un bateau puis j’ai commencé à parler des maisons préconstruites en bois, mais c’était trop petit puis c’est elle qui a parlé d’un mobil home, car elle y avait déjà vécu en vacances et on s’est rendu compte que c’était beaucoup plus abordable que ces maisons en bois. Puis on a discuté de la taille du mobil home et on est arrivé au compromis pour cette taille-là. On s’est rendu compte que si l’on possède peu de choses, il faut peu de place ! J’ai encore un vieux lecteur DVD que je n’ai pas utilisé depuis 2 ans, je ne respecte pas l’une de mes propres règles en le gardant 🙂 Personne ne veut l’acheter maintenant !
Il faut aussi voir quels sont les arguments que la personne peut entendre. Me parler d’indépendance financière est géniale car cela colle avec mon type de personnalité, mais pour d’autres personnes cela va être la sécurité, le statut social ou la variété des expériences ou des relations. Si j’essaie de convaincre quelqu’un qui est intéressé par de nouvelles expériences et les relations humaines, parler d’indépendance financière ne va pas être convaincant !
Avec ma femme, cela a été un processus long et progressif. Vendre l’indépendance financière est difficile, c’est plus quelque chose qu’il faut montrer en n’étant plus inquiet pour son travail et plus heureux au quotidien. Si tu te contentes de dire « je suis très content de ne plus avoir à aller travailler », l’autre ne comprendra pas, car cela n’a pas de réalité pour lui.
Et si les 2 personnes arrivent à se mettre d’accord, il y a la question des enfants où l’on m’a souvent dit « Oui, mais c’est parce que tu n’as pas d’enfants », mais heureusement maintenant il y a des personnes qui témoignent sur le forum et qui ont des enfants. Souvent les gens « OK, nous pouvons être frugaux, mais nos enfants doivent tout avoir : cours de clarinette, classe de neige…”.
En réalité, les enfants ont besoin de manger, d’être logés et de recevoir de l’attention et le schéma typique est celui où les parents sont trop occupés à travailler et compensent le manque d’attention en payant pour que d’autres personnes le fassent. Ceux qui ont grandi chichement, mais avec leurs parents présents sont des gens agréables !

 

Michael : Et du coup que penses-tu du fait de faire l’école à la maison ?

JLF : Je pense que c’est une bonne chose si les parents en sont capables. Il y a des parents curieux qui en plus des cours enseignent la cuisine et l’entretien du jardin par exemple et cela me parait une bien meilleure préparation pour un enfant. Il faut voir que l’école n’a pas tant pour objectif d’enseigner des faits ou des théories que de leur apprendre à rester assis, à se taire et à faire ce que dit le professeur. C’est un bon entraînement au monde du travail 🙂

 

Michael : À quoi ressemble une journée ou une semaine type pour un retraité trentenaire ?

JLF : Je pratique du shinkendo, un art martial japonais à base de sabre (note : j’ai eu droit de voir le sabre) 3 fois par semaine. Le sabre est beaucoup plus tranchant que l’on l’imagine si l’angle de frappe est bon, il peut facilement couper un bras. C’est un sport assez intellectuel qui fait pas mal appel à la psychologie et la gestion de la peur, je croise pas mal de traders. Je pratique aussi la course de yacht une fois par semaine. Pour le yacht, je fais partie de l’équipage du coup l’activité ne me coûte rien. Cela occupe mes soirées !
La journée, je vis un peu comme étant étudiant. Je me lève lorsque je me réveille, habituellement vers 8 h 30, j’essaie d’être un minimum synchronisé avec les horaires de ma femme 🙂 À un moment donné, je me couchais vers 3 heures du matin et me levais vers 11 heures et j’arrivais au bureau à midi. J’ai la liberté de penser à ce que je veux. Je travaille sur un projet de livre parlant d’investissement et aussi un livre pour les débutants qui résumerait mon premier livre, mais j’ai du mal à le faire avancer. J’aime bien chercher de nouvelles idées et les développer.
Je m’exercer aussi à la menuiserie. Par exemple voici une boite en bois telles qu’elles étaient faites avant qu’Ikea n’existe 🙂 C’est très solide, presque impossible à casser.

 

Michael : Est-ce que tu lis ou utilises la littérature autour de la réussite qui est si développée aux US ? (On peut voir des pubs pour Tony Robbins dans la rue par ici !)

JLF : Disons que c’est plus une relation mêlant amour et haine, car parfois ce qu’ils racontent est uniquement à but marketing. J’ai pas mal de gens qui viennent sur mon blog en disant qu’ils ont lu la semaine de 4 heures et que ça n’a pas fonctionné pour eux et que ça semble beaucoup plus dur que ce que l’auteur raconte alors j’essaie d’arrondir les angles !
Mais c’est aussi l’un de mes problèmes, car je n’aime pas faire mon propre marketing, d’une certaine manière j’aimerais pouvoir le faire, mais c’est que je ne trouve pas ça intéressant. Côté livre, j’ai le rêve secret que quelqu’un se l’approprie et en fasse la promotion 🙂 Mon véritable critère c’est « Est-ce qu’il se vendra encore dans 10 ans ?” car il est facile d’en vendre sur le moment, mais c’est sur la durée que l’on voit si l’on touche un public. Si tu regardes Your Money or Your Life c’est un livre publié il y a 20 ans et il se vend toujours. Se souviendra-t-on de Tim Ferriss dans 20 ans ? Je ne parierais pas là-dessus.
Cela dépend comment nous définissons le succès, la manière classique c’est combien l’on gagne ou combien d’objets l’on possède, mais ayant rejeté ces 2 choses, il est un peu dur pour moi de comparer.

 

Michael : As-tu des livres à recommander ?

JLF : Oh, c’est compliqué ! En fait j’en cite beaucoup (72) dans mon livre, car je suis du style à considérer qu’il faut en lire un maximum. C’est particulièrement vraiment lorsqu’on parle d’investissement.
Pour l’indépendance financière, ce serait Your Money or Your Life puis mon livre qui est la prochaine étape.

 

Michael : Je pense que nous avons abordé pleins de sujets ! As-tu quelque chose à ajouter ?

JLF : Hum non je pense qu’on a été assez complet. Je suis content que tu ne m’aies pas posé de questions sur l’investissement !

 

Michael : Oui je sais que ce sont les questions bateaux auxquels il est impossible de répondre

JFL : C’est le problème lorsque je ne connais pas le niveau de connaissance de celui qui me pose la question.

 

Michael : C’est le « J’ai 5 000 €, sur quoi je les investis ? »

JFL : Oui si tu réponds de manière précise à cette question, pour moi c’est un peu comme si quelqu’un te demandait quel parachute il doit acheter en te disant qu’il n’a jamais fait de saut et qu’il doit sauter demain. Dans ce cas, je n’ai pas trop envie de lui recommander quoi que ce soit 🙂 Si je raconte ce que je fais, la plupart vont copier ce que je fais et 2 ans plus tard quelqu’un va me dire que ça ne marche pas et je répondrais oui je sais, car j’ai vendu il y a un an et ils vont me demander pourquoi je ne l’ai pas dit ! Je n’ai pas envie de publier tout ce que je fais. L’investissement en fonds indexés est une manière de se couvrir pour celui qui donne le conseil, car si les choses tournent mal, elles n’iront pas plus mal que la moyenne.

 

Michael : Je pense que c’est un moyen simple et préférable au fait de ne rien faire. Il est clair que tu restes à un niveau de compréhension de ce qu’est l’investissement assez simple, mais au moins cela dépasse le simple fait d’alimenter un livret A. Je parle rarement d’investissement sur mon blog pour les mêmes raisons.

JLF : De par ma position, les gens pensent parfois que j’ai une formule magique qui surperforme le marché tout en étant très peu volatile et ils me demandent quoi faire, mais ça n’existe pas 🙂 Je suis un peu contrariant : si tu me poses la question, je ne vais rien te dire.

 

Michael : Bon alors tu fais quoi ? 🙂

JLF : Je pense que certaines personnes seront déçues par mon livre sur l’investissement, car il restera général 🙂
Michael : Sur cette bonne parole, je te remercie Jacob !

JLF : Merci !

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