La critique détaillée du livre « Early Retirement Extrême » a suscité de vifs et abondants commentaires, justifiant ainsi pleinement le travail de Michael. Entre enthousiasme, analyse « rationnelle » de la promesse du livre et scepticisme, les lecteurs ont partagé des points de vue et des émotions d’une grande diversité. Plutôt que des réponses, cela m’évoque des questions.
Des questions, toujours des questions…
L’indépendance financière peut-elle être considérée comme un but dans la vie, qui nécessite alors de mettre en place des moyens radicaux (comme ceux préconisés par Jacob Lund Fisker) pour l’obtenir ? Ou bien est-elle un moyen qui permet de s’affranchir de l’échange de son temps contre de l’argent (mais pour quoi faire de son temps ensuite)? Jusqu’où chacun est-il prêt à aller, quels comportements et mode de vie est-il prêt à adopter pour cette quête du Graal ? L’indépendance financière est-elle possible pour certains seulement ou pour tout le monde, et sur quels critères ? Est-elle un mythe ou un gadget qui enrichit ceux qui en font la promotion ? Quelle(s) alternative(s) y a-t-il à notre société d’hyperconsommation ? Peut-on vivre en autarcie et comment ? A ces questions, autant de réponses que de répondants. En ce qui me concerne, j’ai été questionné sur un point, celui de la place et du rôle du travail.
Le déclin de la retraite classique
Le « concept » d’indépendance financière existe depuis longtemps : la perception d’une retraite, pour laquelle on a cotisé de longues années, doit nous laisser à l’abri du besoin alors que nous ne travaillons plus. Beaucoup ont l‘intuition que cela ne marche plus : le mode « franco-français » de répartition est devenu obsolète et l’Etat Providence est au bord de la faillite. Il convient donc d’anticiper par des stratégies personnelles de capitalisation, en phase avec l’individualisme croissant qui caractérise les sociétés riches. Je trouve cette attitude sage ainsi que les raisonnements et comportements qui en découlent : maitrise de ses dépenses et créations d’actifs diversifiés qui diminuent jusqu’à l’annuler la dépendance aux revenus du travail.
Votre vie à la plage ?
L’indépendance financière est aussi « marketée » comme une libération du travail lui-même. Enfin, nous allons pouvoir occuper notre temps à autre chose qu’à travailler. Et il n’y a vraiment que les « grosses truffes » pour continuer à bosser alors que des « business d’enfer » garantissent des revenus de Directeur Général en travaillant quelques heures par semaine ! Soit, mais pour quoi faire ? On dirait des publicités de la Française des jeux : les gagnants sont en maillots de bain, bronzés toute l’année et libres de toute contrainte. Est-ce que cela vous fait rêver ? Oui bien sûr ! Aimeriez-vous que votre vie devienne une carte postale permanente ? Pas si sûr…
Nous voulons du sens !
Il conviendrait donc de travailler pour se libérer du travail rémunéré afin de pouvoir faire ensuite ce que l’on veut/aime. Personnellement, je préfère la ligne directe aux détours : le rêve est le plus court chemin d’un point à un autre. L’être humain a besoin de sens. Il en trouve à travers des créations (famille, entreprise, art, projet, idées, métier…) dans lesquelles il va se rencontrer, se dépasser, grandir, apprendre (versant « égoïste ») et contribuer à ce que le monde soit meilleur qu’il n’est aujourd’hui (versant « altruiste »). Le travail peut être un excellent pourvoyeur de sens. Pourtant, dès son étymologie (tourmenter, torturer avec le « trépalium » -instrument de torture emblématique du génie humain-) le travail est associé à la souffrance. Cette souffrance, d’abord physique, est devenue psychique et je comprends bien qu’on veuille y échapper par tous les moyens, dont l’indépendance financière.
Tous créateurs ?
Pour que le travail soit effectivement un vecteur de sens, il faut le transformer en « œuvre ». Œuvrer plutôt que travailler m’apparait être un challenge bien plus excitant que de compter chaque jour les centimes d’euros que je n’ai pas dépensé, dans un mode de quasi-survie. Celui qui œuvre « travaille » dans la joie et la coopération ; il réalise par ce biais quelque chose d’utile pour lui et pour les autres. Il en reçoit une juste rétribution par l’argent qu’il va remettre en circulation (fonction d’échange) pour créer ainsi d’autres richesses. Tout est question de choix : faire tout soi même (et c’est du boulot finalement mal payé !) pour ne pas avoir besoin d’un emploi rémunéré ou se doter d’un job épanouissant et justement rétribué pour faire faire par d’autres ce qu’on ne sait pas ou ne veut pas faire soi-même (par ex, ses vêtements). La création d’une entreprise indépendante peut permettre de se libérer de ce dilemme et prendre le meilleur de chaque option. Elle s’insère aussi dans les stratégies individuelles pour faire face aux défis de la vie. Le nombre croissant de ruptures conventionnelles du contrat de travail et d’immatriculation d’auto-entrepreneurs en est l’illustration.
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