Cette attractive question a entrainé l’achat (2,85 €) du numéro de décembre 2011 du Monde Dossiers et Documents. On y trouve une collection d’articles récents qui abordent la question selon différents plans. En résumé, deux théories s’opposent.
La première, dite « théorie du ruissellement » indique que la fortune des riches « ruisselle » le long de la pyramide sociale et en « fertilise » les différents échelons sous des formes diverses : création d’emplois salariés, consommation créatrice d’activité économique, investissements. A ce titre, il convient donc d’entretenir, préserver et conserver nos « riches », notamment par une fiscalité non dissuasive (821 assujettis à l’ISF ont quitté la France en 2008). Ils sont le support de l’activité (l’Etat aussi par la dépense publique). Pour qu’un pays se développe, il doit se composer d’entrepreneurs inventifs et mobilisés, notamment par l’appât du gain.
La seconde développe l’idée que les fortunes excessives menacent l’équilibre socio-économique. Les riches sont devenus un « problème » pour la justice sociale, l’efficacité économique et la démocratie. Le nombre de milliardaires augmente (1210 en 2011, contre moins de 1000 en 2010 selon le magasine Forbes), et en même temps l’écart avec les pauvres se creuse de manière vertigineuse. Dans les pays émergents on devient milliardaires en créant des (grosses) entreprises prospères alors qu’en France c’est l’héritage qui permet de creuser l’écart (voir le rapport Patrimoine 2010 de l’Insee). Ainsi se créent des sortes de dynasties dont la vocation est de s’auto produire (voire reproduire). Le mécanisme bien connu des « fils de », dans le monde du spectacle ou du sport illustre ce phénomène. Et l’argent, plutôt que de ruisseler, semble stagner entre ceux qui le détiennent. Cela suscite à la fois du rejet et de la fascination : en France, un riche est forcément un « salaud », mais beaucoup de personnes « pauvres » rêvent de gagner 10 millions d’euros au loto. Cette logique doit ressembler à : tous des salauds, sauf moi !
On débouche donc très vite sur la question morale de la valeur ajoutée des riches : un artiste, un sportif, un dirigeant qui exerce ses stocks options et, pire, un rentier auraient une utilité sociale, une valeur ajoutée, très en deçà des rémunérations qu’ils perçoivent. Et ils seraient donc condamnables, notamment par une ponction fiscale accrue. La question sous-jacente est la suivante : si les riches deviennent moins riches, est-ce que cela va rendre plus riches les pauvres ? C’est une idée séduisante mais dont je ne connais pas de démonstration fiable, c’est-à-dire visible dans la réalité et non issue d’une théorie d’un économiste. Et si les pauvres devenaient riches, endosseraient-ils alors toutes les turpitudes attribuées aux riches ? Mystère. En tout cas, lorsqu’ils apportent de la valeur (Steve Jobs ?), les riches méritent un peu plus leur richesse que lorsqu’ils sont rentiers (pourquoi tant de haine ?).
Il en découle naturellement un questionnement sur ce que les riches font de leur richesse. La réflexion est alimentée par la fondation crée par Bill Gates et regroupant des milliardaires américains philanthropes (dont Warren Buffet), émus de l’état de la planète et léguant des sommes colossales pour des projets humanitaires. C’est là qu’on touche véritablement la différence de mentalité concernant les riches entre les américains ( « aux Etats Unis, on réussit à travers la richesse qu’on crée, il est naturel de la redistribuer » ) et les français (« on est suspect : si on fait un don, c’est pour être défiscalisé ou par repentance »). Je ne veux pas vous priver des mots péremptoires de Michel Onfray concernant les riches donateurs : « ce prurit de bonté dissimule mal un banal acte égocentrique : cet amour de soi transformé en amour du prochain satisfait l’âme de celui qui n’a plus d’âme parce que l’hyper richesse a ce don de détruire l’âme de celui que la fortune a soustrait du monde véritable ». Je ne savais pas que les philosophes lisaient dans les âmes.
Comme le disait l’humoriste Pierre Dac, quand on sait ce qu’on sait, qu’on voit ce qu’on voit et qu’on entend ce qu’on entend, on a bien raison de penser ce qu’on pense. Et c’est ce qui est finalement le plus désolant dans tout ça. Qui dit vrai, qui dit faux ? Nos mécanismes de perception sont basés sur les généralisations (je connais un riche malhonnête, donc les riches sont malhonnêtes) les omissions (je ne vois pas de riches honnêtes) et les distorsions (si un riche donne son argent, c’est pour se faire pardonner sa malhonnêteté). Tout cela alimente la pensée binaire et dualiste, préalable à la haine de l’autre. Je pense qu’on aurait plutôt intérêt, en ces temps agités, de s’unir pour chercher des solutions viables aux problèmes des hommes et de la planète.
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