En face de chez moi, il y a des vaches. Elles sont paisibles et passent l’essentiel de leur temps à ruminer. C’est une activité qui consiste, pour ces herbivores, a régurgiter la nourriture déjà absorbée pour la remastiquer. C’est leur processus naturel de digestion, et cela leur permet de consommer de grandes quantités de nourriture. J’arrête les explications pour ceux qui viennent de terminer leur repas !
En face de moi, dans le métro, il y a des gens. Parfois, je les regarde et les écoute parler, à l’affut d’une idée de chronique. Les sujets sont vastes, toujours les mêmes. Deux d’entre eux reviennent régulièrement : le travail (changements, réorganisations, relations hiérarchiques ou avec les collègues, méthodes de travail) et la famille (comportement des enfants ou du conjoint, école, voisinage, projets en cours). Ces deux sujets posent d’une manière générale des « problèmes » auxquels chacun a à faire face.
Je suis souvent frappé par le caractère stérile de ces discussions. Pourtant, il s’agit de sujets importants, qui concernent directement ceux qui en parlent. Mais il se dégage régulièrement un sentiment d’impuissance, comme si une fatalité imposait de subir les situations sans rien pouvoir y faire. Paradoxalement, Il y a des bénéfices à cette attitude : se conforter dans le bien-fondé de son point de vue, se maintenir dans une position de victime, se relier négativement à son interlocuteur en se plaignant ou en critiquant ensemble (plus facile que de proposer et d’assumer).
Vous allez dire que je suis vache, mais ces personnes me font penser à des ruminants ! Elles ruminent leurs histoires et ça vous colle le blues ! Une situation (souvent répétitive) est vécue, elle a déclenché des jugements de valeur négatifs à l’origine d’émotions désagréables. Plutôt que de la solder (cf effet Zeigarnik, voir l’article sur les interruptions), les protagonistes la remettent sur le tapis, la ressassent jusqu’à plus soif. Sera-t-elle digérée pour autant ? Non. Les vaches ont une longueur d’avance. Parce que leur rumination est biologique.
Les humains, eux, pratiquent la rumination psychologique. C’est une manière de percevoir la réalité qui met l’accent sur :
– Le passé et les causes. Or il y a souvent un enchainement de causes multiples et de natures très différentes, dont certaines sont liées à des comportements plus ou moins conscients. Croire qu’en connaissant la cause et en l’éradiquant solutionne le problème est une erreur : cela marche pour des problèmes de mécanique ou de plomberie, mais rarement lorsque des « humains » sont impliqués.
– Ce qui a manqué, ce qui ne marche pas, le problème, ce qu’on avait « avant ». On focalise l’attention sur le verre à moitié vide.
– Des pensées répétitives destructrices fondées sur des jugements de valeur. La situation présente est reliée à d’autres vécus qu’elle vient confirmer : quand on sait ce qu’on sait, qu’on voit ce qu’on voit et qu’on entend ce qu’on entend, on a bien raison de penser ce qu’on pense, c’est imparable. Alors, sombrons dans la sinistrose !
– L’accusation des autres, du système : la recherche des fautes et des coupables est un sport à succès. C’est l’occasion de leur prêter des intentions néfastes et de raviver un sentiment d’insécurité.
– Des généralisations basées sur « un bon sens près de chez vous » (celui que tout le monde devrait avoir !) fièrement revendiqué. Les choses sont vues de manière très générale à travers des opinions non étayées.
Ils ne produisent pas d’options, de scénario, d’idées pour faire évoluer la situation: ce n’est pas opérationnel et encourage le statu quo, bien qu’il soit insatisfaisant.
Ils entretiennent des émotions désagréables qui les font se sentir mal : ça risque de faire tache d’huile sur leur environnement mais ils se sentiront moins seuls.
Que faire à la place? Prendre l’exact contrepied des 5 points évoqués ci-dessus.
– Se centrer sur le futur et définir ce qu’on veut obtenir de la manière la plus concrète possible (ce qu’on veut voir, entendre, ressentir). Cela implique de formaliser explicitement ses buts sans formulation négative (plutôt « réaliser cette tâche en 1heure » que « arrêter de me laisser déborde »).
– Ce qui marche dans la situation, les ressources. Selon l’endroit où on porte son regard, on ne voit pas la même chose. Quand on vient d’acheter une Kangoo, on a l’impression que le monde entier roule en Kangoo. Il faut donc regarder les avantages de la situation, voire les provoquer et chercher des moyens de la faire évoluer (plutôt que trouver des excuses).
– Une compréhension objective basée sur les faits et une empathie avec les différentes parties prenantes. L’objectivité « pure et parfaite » est un leurre, mais une capacité à se mettre à la place des acteurs et à comprendre ce qui justifie leurs actes élargit sa zone de compréhension et facilite une éventuelle négociation.
– Une responsabilisation et un engagement. Nous vivons dans des systèmes. Il y a une loi, dite de l’interaction, qui dit que chaque élément d’un système influence les autres. Tout changement de votre part aura un donc un impact : pourquoi ne pas jouer cette carte ?
– Une approche à petits pas. Quel est le plus petit changement qui pourrait être mis en oeuvre et aurait un retentissement sur le tout : cette question peut efficacement guider la réflexion.
Aujourd’hui, je vous propose de vous observer vous-même et de vous entrainer à passer (et à faire passer les autres) de la rumination à la réflexion.
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